NAZISME ET MANAGEMENT : DES LOGIQUES COMMUNES ? | « LA GRANDE H. », JOHANN CHAPOUTOT, JULIEN THÉRY

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Historien du nazisme et de sa vision du monde, #JohannChapoutot a récemment fait paraître un essai dont la réception n’a pas été unanimement favorable : "Libre d’obéir : le #management, du #nazisme a aujourd’hui". Il revient avec Julien Théry sur la démarche du livre et profite de l'occasion pour répondre aux objections qui lui ont été opposées.

C’est la lecture de l’abondante littérature nazie sur la Menschenführung, la conduite des hommes, qui a attiré l’attention de Johann Chapoutot sur les similitudes frappantes entre les discours de l’époque sur la nécessité de « faire mieux avec moins » et ceux qui prolifèrent aujourd’hui aussi bien dans la sphère entrepreneuriale que dans celle du gouvernement néolibéral.
Avec l’expansion du Reich au fil des conquêtes hitlériennes et le développement de l’effort de guerre, la nécessité d’administrer le plus efficacement possible avec des moyens réduits devint une obsession pour les cadres nazis. Et si le nazisme fut tout entier « un grand moment managérial », c’est parce que son idéologie poussa à l’extrême l’utilitarisme qui dominait en Occident depuis les débuts de la Révolution industrielle. Le darwinisme social (extension abusive aux communautés humaine de la théorie darwinienne de l'évolution des espèces par la sélection naturelle) cultivé en Europe depuis le XIXe siècle, tout particulièrement en Angleterre et en France, fut porté à son paroxysme par l’anthropologie nazie. Pour cette dernière, seule l’utilité d’une vie humaine pouvait justifier son existence – son utilité pour la prospérité et la promotion de la race germanique, appelée à dominer les autres sur tous les plans.

Dans son livre, Johann Chapoutot examine en particulier le cas emblématique de Reinhard Höhn (1904-2000). Jeune et brillant juriste engagé très tôt dans le militantisme nationaliste et antisémite, Höhn intègre le SD, c’est-à-dire l’élite de la SS, au début des années 30. Adjoint de Reinhard Heydrich, il devient, tout en montant les échelons de la hiérarchie dans la SS jusqu’au grade de général, professeur de droit à l’Université Humbold de Berlin et directeur de l’Institut d’études sur l’État, voué à des recherches en matière d’organisation institutionnelle adaptée au gouvernement du Reich par la race supérieure. Après la défaite de 1945, Höhn se fait discret pendant quelques années, avant d’être embauché par un think-tank patronal qui lui confie la fondation d’une école de management à Bad Harzburg en 1956. Ses techniques de « management par délégation de responsabilité », dont l’élaboration a commencé dès le temps du Reich, connaissent un immense succès et son Akademie für Führungskräfte der Wirtschaft forme plus de 600 000 cadres allemands jusque dans les années 80 : autant dire que son influence est dominante dans le « Miracle économique allemand »… Höhn publie, dans le même temps, une série de manuels qui se vendent abondamment.

Non seulement un penseur nazi du management, ancien dignitaire du Reich qui ne s’est jamais repenti en aucune manière de son engagement, a joué un rôle de premier plan dans l’essor économique de la République Fédérale d’Allemagne, mais ses idées sur l’organisation des hommes et de la production ont été pleinement en phase, et même pionnières à certains égards, dans le développement du management lui-même.

Non seulement la « délégation de responsabilité » renvoie à l’engagement personnel, à l’esprit d’initiative et à la culture d’entreprise prisés aujourd’hui par la science managériale, mais la substitution d’agences autonomes, flexibles et temporaires à l’administration d’État, théorisée par Höhn au cours de sa seconde carrière, correspond pleinement à l’esprit du « New public management » devenu dominant depuis les années 1980 (et inculqué par exemple aux élites françaises à l'ENA). Paradoxalement, souligne Johann Chapoutot, l’ordo-libéralisme, version allemande du néolibéralisme, a été promu par d'anciens opposants au nazisme, autour du chancelier Adenauer, mais la vision purement utilitariste, productiviste de l’humanité qui le caractérise a pour résultat une réification des « ressources humaines » qui n'est pas sans similitude avec celle opérée par l’idéologie nazie.

Motion design Kilian Le Dantec. Montage Alexis Debaye. Une émission de #JulienThéry.

* A 46:34, une erreur a fait naître Hermann Goering en 1901 et l'a fait mourir en 1945. Les bonnes dates sont 1893-1946. Toutes nos excuses.

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Комментарии
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Quand, avec l’âge, on observe les nouvelles pratiques managériales, on perçoit intuitivement qu’il existe un réel et profond malaise. Une inquiétude persistante face à la volonté malsaine de quelques uns, de soumettre, d’évaluer, de surveiller et de réifier les travailleurs, au motif affiché de célébrer la productivité, la compétitivité et la performance. En écoutant ces deux historiens, je viens de comprendre sur quoi se fonde ma perception. Certains cadres de nos entreprises, auraient été probablement de dévoués nazis, s’ils étaient nés au début du 20° Siècle. Le contexte historique, crée le cadre qui permet à l’humanité d’exprimer sa haine, et d’imposer ses pires visions du progrès . Ne nous faisons aucune illusion, le nazisme vit dans nos sociétés a l’état larvaire. Un rien suffirait à le faire renaître. L’essentiel est de s’interroger sur le sens de ce que l’on nous présente comme étant le cœur de la modernité . L’essentiel est de résister coûte que coûte aux manipulations qui amènent les plus soumis d’entre nous a voir un ennemi, là où il n’y a qu’un homme !

jeancharlesselex
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Bonsoir, je ne peux qu'être d'accord avec ce qui est expliqué dans ce document. En effet, il y a quelques années, un cadre d'une entreprise dans laquelle j'allais pour des chantiers a publiquement dis dans des réunions qu'il voulais des employés qui " obéissent comme les soldats de la Wehrmacht". " Réfléchir, c'est désobéir." C'était ses harangues dans ses réunions. Tout le monde pouvais l'entendre, même les gens de passage comme j'étais. Ça me donnait envie de vomir, mon grand père ayant fait 3 ans de camp à cause d'ordures de ce genre.

hubertgailuron
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MERCI de donner réellement du temps a ce sujet, ça permet une certaine clarté et un contre discours cohérent fasse a celui d'un certaine ordre .

mathieuschneider
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Nous ne sommes plus habitués à une telle qualité d interview dans les médias, avec redevance..., ou avec une hypertrophie de la publicité...

christiantrape
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Merci à vous et particulièrement à Monsieur Chapoutot. Des échanges et/ou conférences avec les écoles "des futurs élites" serait bienvenu.

thierrybuelll
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Merci d'avoir invité Mr Chapoutot, y'en a qui vont ouvrir les yeux

guirein
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A la fac de Grenoble, je séchais mes cours pour aller aux siens...

Sa vision de notre société est encore plus pertinente maintenant que ce qu'elle était il y a dix ans.

Bravo.

cerve
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J'adore votre façon d'interagir avec vos invités Mr. Théry. Vous êtes selon moi parmi les plus naturels au média dans cette compétence.

jordanbrat
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Merci, Très instructif pour analyser et comprendre les expressions d'E. Macron quand il parle de "ceux qui ne sont rien" et les oppose aux "premiers de cordée" : on voit tt à fait qu'il a une vision "fascisante" de l'individu qui doit être performant et produire, sinon, sa vie est inutile. Cela fait froid dans le dos !

fanofcolors
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On est jamais déçut du travail formidable accompli par le Professeur Chapoutot qui est une valeur sure quand on traite des sujets aussi délicat que le Nazisme et son époque si particulière.

irisvdn
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Fantastique d’avoir invité cet historien qui nous permet, par un retour original sur un passé terrible, une lecture féconde et limpide du monde moderne. Merci 🙏

redsof
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Merci pour cet entretien. Merci aussi d'avoir laissé les commentaires actifs. Cela montre l'état d'esprit trouble de certains auditeurs. Il y a encore beaucoup de boulot d'éducation à effectuer.

thierrydubois
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La meilleure émission à ce jour avec Johann Chapoutot. J'avais vu l'interview de Hors Série et écouté celle de France Culture, j'ai hésité à passer une heure pour celle-ci mais je ne regrette pas car la discussion entre historien est passionnante. Merci.

Автор

Merci et bravo, je n'avais pas eu le temps de tout écouter il y a 3 ans, et m'en suis rappeller l'autre jour car mon employeur veut que nous lisions un bouquin de management pour l'appliquer à la lettre (se vantant que c'est le même modèle que celui de McDo). Bref, c'était passionant, instructif, éclairant et enrîchissant.

tatianacarretero
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Une découverte édifiante pour moi.
C’est éclairant pour le passé mais aussi pour le présent.
Merci Le Média.
Merci Monsieur.

lilibreizh
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Il faut absolument ouvrir et réveiller les consciences, et ne pas avoir peur d'aborder, tous les sujets qui peuvent bousculer, fâcher, déranger. Merci à tous ceux qui osent !!!!

leonemicouleau
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j'ai su qu'on était mal barré quand le directeur du personnel a fait place au directeur des ressources humaines....
salut, joie et Révolution
et un grand merci pour le partage ! (j'ai déjà poucé il y a 3 ans !)

procureurkhyssa
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Merci pour cet entretien passionnant, le livre "libres d'obéir" est particulièrement intéressant... Tout ça est vraiment terrifiant et nous donne du grain à moudre, des arguments pour combattre !

cathie
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Merci d'avoir invité Johann Chapoutot, merci pour ce superbe échange. La réaction de G. Erner, de France Culture, à propos du livre en question aujourd'hui m'avait profondément consterné.
Qu'un éditorialiste de France Inter fasse une critique aussi faible, aussi hors de propos de l'ouvrage de Chapoutot, passe encore (malheureusement, nous sommes habitués à l’appauvrissement du niveau culturel, intellectuel, journalistique de cette chaîne), mais que le matinalier de France Culture se lance dans une philippique aussi hors-sujet, c'en est trop. Nous sommes en droit d'exiger mieux d'une chaîne de radio comme France Culture...
Chapeau bas Johann Chapoutot ! Chapeau bas Julien Théry !

caiussempronius
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Excellente émission. Merci au Média de nous permettre de réfléchir sur ces questions plus que jamais d'actualité.

Zeniba